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Le sentiment de la nature dans la tradition catholique

Il y a une dimension métaphysique dans la relation de l’homme et de la nature, tissés de la même matière. En détruisant ce lien, et en évacuant Dieu de la nature, l’époque moderne renvoie la nature et l’homme face à face et se condamne à décrire un échec. Ce pessimisme ontologique est-il catholique ?

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Le sentiment de la nature dans la tradition catholique

L’écologie contemporaine, refrain ressassé, le plus souvent sans saveur et sans odeur, a réduit à une peau de chagrin le grand questionnement chrétien, à la fois tragique et enthousiasmant, sur la création et l’origine de l’univers, du monde, de l’homme et de tout ce que l’œil peut voir et l’intelligence comprendre ou deviner. Il serait possible d’appliquer aux écologistes actuels ce que Paul Claudel, ce poète de la création, dénonçait chez les exégètes : « C’est comme un pharmacien qui aurait honte du splendide accoutrement de sa grand-mère paysanne. »[1] Une telle impression se dégage d’ailleurs de la lecture des textes ecclésiastiques récents sur la question, à commencer par la pâle déclaration de la commission sociale de la conférence des évêques de France en 2000, Le respect de la création – qui ne cite aucun théologien, père ou docteur de l’Église et qui laisse de côté le flamboyant Hexameron avec ses nombreux commentaires –, pour terminer avec l’encyclique Laudato si’ qui ne comporte aucun volet théologique ou spirituel.

Il faut donc creuser en amont pour retrouver les pépites qui devraient redonner tout son éclat au sentiment de la nature chez les catholiques de notre époque. Ceci pour prouver aux accusateurs du christianisme qu’ils ont tort. Le plus célèbre, et le premier de ces accusateurs, est Lynn Townsend White Jr., cet historien américain, qui, dès 1966, a repris le flambeau de la critique contre la « mentalité judéo-chrétienne »[2]. Son analyse est plus que rapide et simplificatrice, tout simplement parce qu’il ne connaît pas, ou néglige, la cosmologie chrétienne et le rapport de l’homme évangélique avec la nature. Il utilise le texte de la Genèse I,28, où Dieu, créant l’homme le place à la tête de la terre pour la « dominer » et l’« assujettir », pour affirmer que cette prétention inaugure le « désenchantement du monde ». La philosophie de la nature ayant été depuis longtemps négligée par les hommes d’Église, la jugeant dépassée et trop tributaire de la scolastique, rares furent les réactions chrétiennes à cette attaque frontale injustifiée. Jean Bastaire s’y essaya cependant en 2005[3]. Il tente de désamorcer l’agression, sans toutefois retourner aux sources théologiques qui seraient capables de restaurer une vision chrétienne de la création. Au même moment, Pierre Hadot, dans Le Voile d’Isis, regrettait ce qu’il considérait être la marque « prométhéenne » du christianisme[4]. Là encore, la théologie thomiste n’est pas prise en compte.

Réduction de la nature à l’histoire

En fait, l’« écologisme »[5] présent, qu’il soit politique, social ou scientifique, s’intéresse surtout à la responsabilité de l’homme vis-à-vis de la nature, écartant systématiquement, depuis pratiquement le début de l’époque moderne, la dimension métaphysique et le lien spirituel de l’homme avec la création. Tel est le cas de Hans Jonas[6] qui ne pense la nature que dans un rapport d’homme à homme pour la survie de l’espèce, puisqu’il est plutôt le scénariste d’une thèse catastrophe[7]. De même Michel Serres, qui fut écouté comme un prophète dans notre pays, avec son ouvrage Le Contrat Naturel[8], à la fois interaction physique et décision éthique. Tout cela est très éloigné des préoccupations cosmologiques que le chrétien serait en droit de trouver au sein de l’Église inspirée par les Saintes Écritures et l’enseignement de la Tradition. Les découvertes scientifiques émergeant à la Renaissance et les thèses des libertins érudits du XVIIe siècle ont remis en cause la relation homme-nature telle qu’elle était entendue et vécue depuis Aristote, puis les débuts du christianisme. Accuser l’Église catholique d’être la cause du « désenchantement » est faire preuve de mauvaise foi car la rupture entre l’homme et la nature provient d’abord de la conception de l’homme propre aux Lumières, puis de l’ère industrielle bourgeoise, et enfin de l’oubli de ce que sont à la fois l’homme, dans sa particularité, et la création, qui n’est pas le fruit du hasard. Saint Thomas d’Aquin avait assumé et intégré le meilleur de la pensée antique et sa vision du monde comme cadre rationnel fut celle de l’Église pendant des siècles. Affirmer que le moment anthropologique date de la philosophie moderne n’est pas conforme à la vérité. Rémi Brague a raison de rappeler que, dans le monde antique, l’homme est « tellement peu un étranger dans le monde qu’il est tissé de la même matière que lui. En un sens, l’imitation du monde ne fait donc que ratifier une parenté toujours déjà assurée. Il s’agira seulement d’orienter la ressemblance innée qui lie l’homme au monde vers ce que ce dernier a de plus digne d’être appelé du nom de cosmos, à savoir le monde céleste. »[9] Tout est bouleversé par l’irruption de l’Incarnation qui construit un pont entre le monde céleste et le reste de la création. De là à considérer que la nature ne peut plus être appréhendée que comme une histoire, et non plus en elle-même, il n’y a qu’un pas franchi allègrement par les tenants de tous les évolutionnismes. La philosophie de la nature s’efface au profit d’une philosophie de l’histoire, comme par exemple chez Teilhard de Chardin[10]. La nature n’est plus vue comme un ensemble harmonieux couronné par l’homme, mais comme un conglomérat dont le processus évolutif procède par tâtonnements. Pas étonnant, dans cette hypothèse, que la nature ne soit plus respectée dans son unité, puisque plus rien n’est fixe ou stable. Le monde est désacralisé : il n’est plus lié, ni dans son origine, ni dans sa fin, à la transcendance. La conséquence est qu’il finit par être profané par l’homme qui, dans le même temps, se lamente de l’état de la terre. Pour un chrétien médiéval, au contraire, chaque élément de l’univers était uni aux autres par le lien de la charité.

L’efficace divine de saint Thomas d’Aquin a été évacuée. Pourtant, l’Aquinate avait développé là une appréhension rationnelle de la nature qui permettait d’en embrasser à la fois l’origine divine et une relative autonomie. Comme le souligne Etienne Gilson[11], « Dieu fait tout ce que font les créatures, et cependant les créatures font elles-mêmes ce qu’elles font. » L’auteur, pour éclairer son propos, présente une analogie avec un charpentier utilisant une hache pour couper du bois. La hache est bien la cause du bois fendu, mais uniquement en vertu de l’efficace procuré par le charpentier qui est la cause première. Voilà ce qu’il faut imaginer en ce qui regarde le rapport de Dieu avec sa création. Si Dieu est évacué, la nature demeure en suspension, jouissant d’une fausse autonomie puisqu’elle n’est plus régi que par les fluctuations du temps. Il n’y a pas revendication des droits de la créature sur ceux de Dieu dans la philosophie thomiste qui n’est pas un naturalisme païen. La métaphysique de saint Thomas est au contraire l’exaltation d’un Dieu dont l’attribut essentiel est la bonté, et non point la toute-puissance, même si toute efficace provient bien sûr de sa puissance. Ce partage voulu par Dieu est la condition d’un univers où la multiplicité des êtres, des natures, des causes et des opérations ne se prend pas pour sa propre fin. À cause de cette relation de délégation de la part de Dieu, rien n’existe ni n’agit pour soi, mais tout tend à s’assimiler le plus parfaitement possible à Dieu qui habite toutes les choses et tous les êtres. Comprendre ce principe est faire tomber l’antinomie apparente entre la perfection de Dieu et celle, plus relative, de l’être créé. Ce principe régit, à son plus haut niveau, la morale humaine, comme elle dirige la métaphysique de la nature. Là réside l’harmonie qui règne dans le monde créé, ceci malgré le péché originel et les péchés particuliers.

De l’humilité à l’effacement

Ceci n’est qu’un développement rapide d’un des éléments qui permet de comprendre le monde. Il semble que la plupart des positions écologistes actuelles fassent l’impasse sur ce questionnement, concluant directement au constat d’échec et à la nécessité de sauver une nature qui vivrait par elle-même sans lien direct avec l’homme, sauf lorsque ce dernier lui fait violence. Une nature vidée de la présence et de l’action divines ne peut conduire qu’à l’angoisse et au catastrophisme. L’homme retourne son poignard contre lui-même, comme le scorpion légendaire qui se frapperait de son dard lorsqu’il est entouré par le feu. Il oublie que chaque être reçoit les lois de sa nature et, qu’ainsi, il peut réaliser le bien qui lui est propre, dont il est capable. Chacun dans la création, selon sa mesure, peut de cette façon imiter la perfection de son principe. La capacité de l’homme est plus haute que celle de tous les autres êtres, mais le processus est identique en tout ce qui compose l’univers. La grande découverte, métaphysique et spirituelle, de saint Thomas d’Aquin fut de montrer que la création n’est pas un mouvement mais une relation de dépendance ontologique et non point chronologique. Dieu, ainsi, est bien présent partout, dans chaque détail de sa création, sans être pour autant spatialement divisible.

La confusion écologique ou écologiste provient de l’affirmation que la nature est la condition de notre « salut ». Elle est désormais placée en face de l’homme, comme si elle était une entité indépendante et supérieure. Les déterminismes de la nature – déterminismes qui correspondent bien à la nature de chaque chose – semblent prendre le pas sur la lucidité qui accompagne l’action de l’homme tendant également à la réalisation de la volonté de Dieu en répondant aux lois naturelles pour lesquelles il a été créé. L’homme seul peut donner toute sa plénitude à ce mouvement. Il dirige, gouverne, domine les autres créatures dans cet unique but : rendre plus visible et manifeste le retour de toutes vers Dieu. Il s’agit bien d’une action au sein de la nature, tirant ou poussant la nature vers Dieu. Pie XII déclara : « La vocation du christianisme n’est pas une invitation de Dieu à la seule contemplation esthétique de son ordre admirable, mais l’appel obligatoire à une action incessante, austère et dirigée en tous sens et vers tous les aspects de la vie. »[12] Cela n’enlève rien à la puissance de Dieu au sein de cette nature, à l’inverse de la tendance de certains théologiens contemporains qui insistent uniquement sur une dite dépendance de Dieu vis-à-vis de sa création, ceci par humilité. Il serait dommageable de diluer le divin en postulant un retrait d’abandon de Dieu par rapport à sa création qui n’attendrait plus désormais que les actions de l’homme (à son service) pour survivre. Il ne suffit pas de protéger les baleines et de ne pas utiliser de plastique pour embrasser le sentiment chrétien de la nature qui n’est pas de considérer que le salut passe par la nature. Dans ce cas, il faudrait réduire les activités humaines, et la démographie, pour redonner à la nature sa liberté, envisagée comme plus sage que l’homme. Ce dernier devrait se retirer, puisqu’il est présenté comme l’ennemi, le persécuteur, le destructeur de la nature bonne en soi. Si le catholicisme contemporain emboîte le pas à ce pessimisme ontologique, il tournera le dos à sa vocation et sera infidèle à la Révélation.

 

[1] L’Écriture sainte p. 316, dans Paul Claudel. Le Poëte et la Bible II 1945-1955, Paris,NRF Gallimard, 2004, 1950 p.

[2] « The Historical Roots of Our Ecologic Crisis », dans Science, 10 mars 1967, volume 155, numéro 3767, p.1203-1207

[3] « L’exigence écologique chrétienne », dans Études, 2005/9 (Tome 403), p.203-211

[4] « La représentation du monde comme machine correspondait parfaitement à l’idée chrétienne d’un Dieu créateur, transcendant absolument son œuvre. » op.cit. p.142

[5] Pour reprendre le vocabulaire de Hubert Faes dans son article « Contrat social et contrat naturel. La nature comme objet de responsabilité », dans De la nature. De la physique classique au souci écologique, Paris, Beauchesne, coll. Philosophie 14, 1992, 370 p., p.121-141. Voir p.122, note 3.

[6] Le Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique. 1979, Trad. Jean Greisch, Paris, Cerf, 1990

[7] Il a influencé bien des politiques nationales et internationales dans ce domaine de l’écologie.

[8] Paris, François Bourin, 1990.

[9] La sagesse du monde. Histoire de l’expérience humaine de l’univers, Fayard, Paris, 2002, p.142-144.

[10] Notamment dans « Les fondements et le fond de l’idée d’évolution »,
La vision du passé, Œuvres, t. III, Seuil, Paris, 1956, p. 179-180.

[11] Le Thomisme, Paris, Vrin, 1942, 530 p., p.252

[12] Message de Noël, 1957.

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