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La seconde carrière de saint François d’Assise

Très sollicité par le pape François, le fondateur des franciscains sert de caution morale à un triple mouvement  : dialogue avec l’islam, écologie militante et utopisme économique. Mais saint François cautionnerait-il ces nouveaux discours  ?

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La seconde carrière de saint François d’Assise

Lorsque le cardinal Bergoglio devient pape sous le nom de François, c’est la première fois dans l’histoire que ce prénom est choisi par le successeur de Pierre. Que cette nouveauté soit inaugurée par un jésuite double la surprise d’une curiosité  ; j’y reviendrai en conclusion.
Le choix fait référence au saint homonyme d’Assise que le pape affectionne et dont il s’inspire. Aussi, lorsque, le 13 mars 2013, le cardinal camerlingue annonce au monde le nom du pape nouveau, c’est un programme qui est annoncé, presque un cri de guerre  !
Depuis ce jour, en effet, on a vu se multiplier les gestes et les paroles de portée franciscaine («  franciscain  » pour saint François, «  franciscanien  » pour le pape François) qui place ce pontificat sous la figure tutélaire du pauvre d’Assise. Qu’il s’agisse d’écologie, de relation à l’islam ou d’économie, saint François d’Assise est sollicité et la doctrine franciscanienne placée sous la lumière du grand Ombrien.
Cependant, force est de constater qu’à chaque fois la figure de saint François est forcée, altérée voire déformée pour servir des thèses qui, au fond, n’ont que très peu de choses à voir avec lui. C’est la deuxième carrière de saint François.
Voyons ce qu’il en est. Nous verrons que ces trois pôles (écologie, économie, islam) se fondent dans la notion de la fraternité franciscanienne.

Écologie  : une interprétation anachronique

À dire vrai, en ce qui regarde l’écologie, le pape n’a pas été le premier à faire une référence explicite à François d’Assise  ; elle avait déjà largement cours. Sinon de la naissance de l’écologie comme mouvement politique, elle date au moins de la prise de conscience chrétienne d’une urgence écologique. Il fallait trouver alors un patron, un modèle, et le dévolu fut jeté, presque logiquement, sur saint François.
La nouveauté pontificale réside dans l’insistance sur ce patronage, dans sa systématisation et dans le caractère désormais fondateur de la figure du saint dans l’éthique de l’obligation écologique. L’encyclique Laudato si’ (premiers mots du Cantique de frère soleil de saint François) est le document qui signale l’aboutissement de cette pensée et qui la formalise, sous l’exemplarité de saint François. L’écologie étant une partie intégrante, désormais, de l’économie, au sens que ce terme a pour la théologie.
Pourtant, l’association saint François/écologie est anachronique. L’écologie comme nous l’entendons est quelque chose de récent et qui jamais n’a frôlé l’esprit de saint François, bien qu’il fut un des plus grands chantres de la Création .
Il faut bien admettre que le souci de la création, comme telle, n’a jamais beaucoup préoccupé la conscience chrétienne jusqu’à une période récente et l’enseignement pratique de saint François, même s’il n’a rien d’un souci temporel du monde, n’a jamais fait florès. Il aura donc fallu l’attention matérielle nouvelle portée à la planète et à ses ressources pour que l’on redécouvre toute la portée du dogme de la création et de sa restauration dans le Christ. C’est cette théologie-là, voire cette mystique, qui mouvait saint François. En effet, la rédemption vécue rétablit l’homme, sinon dans le paradis originel, dans une fraternité universelle avec tout ce qui est sorti des mains de Dieu à l’origine. Il est clair, pour saint François, qu’il s’agit là d’une grâce christologique. Si l’écologie n’est pas une théologie de la création, celle-ci, vécue dans une mystique, doit informer celle-là. C’est tout – et c’est beaucoup – ce que l’on peut légitimement demander à saint François.

Annoncer le Christ aux musulmans, et non dialoguer

Au regard de la relation à l’islam, la chose est plus simple encore. Deux documents pontificaux sont importants dans cette question  : la déclaration d’Abou Dhabi et Fratelli tutti. Cette doctrine franciscanienne n’est qu’une variation sur le dialogue qui règle désormais les relations entre les religions et particulièrement avec l’islam. Sans revenir sur cette notion, qui peut avoir certains mérites, disons qu’attribuer à saint François la paternité de cette dynamique est très hasardeux. Sur cette question, nous possédons plusieurs sources proches des faits. D’abord les deux vies écrites par Thomas de Celano (+1260), premier biographe du saint. Ensuite, la Legenda Maior (légende au sens littéral, car ce texte, comme ceux de Thomas de Celano, était lu pendant les offices du saint) de saint Bonaventure (+1274). Ajoutons à cela des passages des deux règles écrites par le saint lui-même. Tous ces textes concordent  : jamais saint François n’a promu un quelconque dialogue et l’on ne peut se prévaloir d’une rencontre avec le sultan pour justifier cette nouvelle posture de la relation avec l’islam.
Lorsque saint François “rencontre” le sultan Malik El-Kamil, il ne dialogue pas, il lui prêche Jésus-Christ mais, dans un contexte de croisade armée, il le fait pacifiquement. C’est du moins ce que rapportent et Thomas de Celano et saint Bonaventure ou encore un certain Ernoul qui, dans une compilation de chroniques des croisades, écrit que «  deux clercs qui étaient à l’armée à Damiette  » demandèrent l’autorisation d’«  aller prêcher au sultan  ». Une fois devant lui, saint François lui adresse ces paroles  : «  Si vous voulez nous croire, nous conduirons votre âme à Dieu, car en vérité, nous vous affirmons que si vous mourez en cette religion où vous êtes, vous êtes perdus et Dieu n’aura pas votre âme  ». Alors qu’on conseille au chef musulman de leur couper la tête, le sultan les laisse repartir. Aujourd’hui, certains vont jusqu’à faire du sultan un vrai saint musulman…
Le chapitre XVI de la première règle – cité de façon partiale par Fratelli tutti – s’inspire de cette expérience. Si ce chapitre commande l’humilité et le pacifisme, il conseille aussi l’annonce directe de Jésus Christ. On a beau, cependant, lire et relire le texte, aucune trace de dialogue.
Enfin lorsque saint François, en 1220, apprend le martyre des frères envoyés au Maroc, il a une réaction qui n’est pas proprement inspirée par le dialogue  : «  maintenant, je peux vraiment dire que j’ai des frères mineurs  » déclare-t-il, exultant.
L’attitude de saint François est avant tout une annonce pacifique mais explicite de l’Évangile par amour du Christ et de son interlocuteur. Il n’impose rien, il propose. Jamais il n’entre dans un dialogue, ni intellectuel, pour lequel il n’avait pas de goût, ni simplement humain  : sa mission n’est pas de cet ordre.
À vrai dire, il n’y a pas rencontre de saint François et du sultan, par plus qu’avec le loup de Gubbio – les interlocuteurs ne sont pas sur un même pied d’égalité  : il y a un homme qui, par amour, part à la rencontre de l’autre. À celui qui vit en loup et à celui qui ne croit pas au Christ, à l’un et à l’autre, il annonce pacifiquement l’Évangile et l’un et l’autre font l’expérience d’un homme de paix. Bref, saint François est le témoin de la suprématie universelle du Christ, sur la création et sur les cœurs des hommes.

Une vision utopique des rapports économiques

L’économie est l’un des thèmes favoris du pape François. La rencontre de novembre dernier à Assise sur cette thématique est la dernière étape connue dans ce domaine. Ici aussi, l’exemplarité de saint François est invoquée.
En réalité, il n’y a pas de pensée économique positive chez saint François  ; si tant est qu’il existe quelque chose pouvant servir à promouvoir une praxis économique, ce ne sera que par défaut, et de façon très balbutiante.
Fils de marchand de drap à une époque qui voit l’essor de la bourgeoisie commerciale, François Bernardone sait ce qu’est vendre et acheter. En tournant le dos à son père, il laisse derrière lui cette activité et toutes ses ramifications. L’économie en ce sens ne l’intéresse pas, ce n’est pas son affaire  ! Son choix de la pauvreté n’est pas d’abord une critique de l’économie, elle est un choix mystique  : vivre nu avec le Christ nu  ! L’amour est la seule motivation du choix, pas la haine de l’argent ou du commerce. Cet amour, personnifié dans la figure de Dame Pauvreté, saint François le défendra jalousement, interdisant aux frères dans sa première règle et son testament de posséder quoi que ce soit en propre et en commun.
Si les vertus chrétiennes doivent critiquer, purifier l’activité économique comme n’importe quelle activité humaine, on ne voit pas comment on pourrait fonder une doctrine économique sur la mystique franciscaine.
Ceci étant, cette spiritualité a engendré, concrètement, un agir politico-économique, qui, bien que n’étant pas du fait de saint François, s’inspire des premiers mouvements franciscains. Giorgio Agamben, philosophe italien, a tenté d’en dégager certains des principes et ce n’est certainement pas une coïncidence si le philosophe est proche d’une sensibilité de gauche.
La doctrine du pape dans ce domaine, commençant par une critique de l’économie presque en tant que telle, doit plus aux fraticelles qu’à saint François lui-même. Qui dit fraticelles dit courant minoritaire dans l’ordre séraphique, dit utopisme, voire millénarisme. On retrouve donc une espèce de généalogie, en utopie, entre ces franciscains radicaux et les communistes du début du XXe siècle. Les premiers annonçant la venue du règne du Saint Esprit où l’Eglise et les riches seraient anéantis et les seconds, la victoire du prolétariat  ; les uns comme les autres, des lendemains qui chantent. La thématique du rêve, omniprésente chez le pape, donne infailliblement à penser qu’il navigue un peu dans ce registre.

Une fraternité substantiellement différente

Tout ce que nous venons de dire se cristallise dans la notion de fraternité dont l’encyclique Fratelli tutti, donnée à Assise est l’explicitation. On y retrouve les trois axes du trépied franciscano-franciscanien. À vrai dire, on ne peut rien reprocher à cette notion qui, sans nul doute, est bien franciscaine, à condition du moins de la fonder d’abord sur la paternité divine. Pour être honnête, cette mention est bien dans l’encyclique mais comme en passant et une seule fois. Passé ce liminaire, on n’y revient plus et la fraternité – référence explicite à la devise républicaine française, ce qui est un comble  ! – est surtout une attitude séculière, inspirée certes par les meilleurs sentiments, qui n’a plus rien de spécifiquement chrétien ni franciscain.
On a l’impression que depuis 1789, à force de parler de “fraternité”, le monde est devenu fraternel sans qu’il soit nécessaire qu’il devienne chrétien. Il suffit juste, de temps à autre, de rappeler, tout de même, que nous avons un père commun, un Dieu commun, le même, que nous soyons chrétiens, musulmans ou même athées  !
On ne voit pas alors ce que le message du Christ vient changer et l’on voit moins encore à quoi sert finalement la Croix. Elle que saint François ne cessait de contempler, de prêcher, elle dont il porta dans son corps les marques.

En conclusion, on pourrait croire, presque par distraction, à une vulgaire imitation de saint François, il n’en est rien. Si le modèle est saint François, celui-ci est vidé de sa substance pour restituer de lui une image qui tient plus du pape que du saint de l’Ombrie.
Chiara Forgani, dans un livre récent, prétend que la chose est déjà arrivée aux origines de l’Ordre, quand il fallut donner à l’homme d’Assise une figure assimilable par les institutions  ; pour l’historienne, saint Bonaventure et Giotto sont deux des propagandistes de la nouvelle version de François Bernardone. Ce n’est pas le sujet de cet article, nous le mentionnons simplement pour dire que François d’Assise est tel qu’il est, hélas, destiné à des altérations constantes selon les envies des uns et des autres.
La récupération qu’en fait le pape François, avec la bénédiction des Franciscains, sans doute flattés que l’évêque de Rome ait choisi le nom de leur patriarche, est pour le moins inouïe et, finalement, grossière et l’on s’étonne que peu de monde l’ait souligné.

Pour finir, revenons sur ce détail cocasse que nous mentionnions en commençant  : un jésuite pape sous le nom de François.
Les Jésuites sont (étaient) une compagnie quasi militaire fondée par un militaire qui ne peut plus faire la guerre, les Franciscains une confrérie fondée par un poète, un chevalier raté. Cependant, François et Ignace sont des mystiques mais aux spiritualités très différentes. La mystique d’Ignace porte à l’action ou pour le dire mieux, l’action est mystique chez saint Ignace. Celle de saint François est plus exclusivement contemplative  : une mystique de l’Incarnation et de la personnification des vertus.
Pour ce qui est du pape François, vrai fils de saint Ignace, le “virus” franciscain est sans doute venu, entre autres, par l’inspiration d’Arrupe, autrement dit par cette sensibilisation aux plus pauvres, pauvres que leur pauvreté constituent en une entité intelligible, indépendante, une catégorie non seulement théologique mais aussi politique et mystique. La pauvreté ainsi personnifiée est le point de fusion entre la dynamique ignatienne et l’affect franciscain. Il faut bien reconnaitre que cette essentialisation de la pauvreté doit beaucoup à saint François même si pour lui le pauvre, c’est d’abord et surtout le Christ et le Christ crucifié.

Illustration : Pierre-Jérôme Lordon, Saint François d’Assise conduit devant le sultan d’Égypte, 1824. Église Sainte-Croix-des-Arméniens, Paris

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