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« À quoi sert le théâtre ? À montrer l’homme à l’homme »

Jean-Luc Jeener, écrivain et metteur en scène, réussit depuis plus de vingt ans à animer le Théâtre du Nord-Ouest en proposant aux spectateurs de se contempler à travers les acteurs.

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« À quoi sert le théâtre ? À montrer l’homme à l’homme »
Pourquoi avoir ouvert le Théâtre du Nord-Ouest ?

Mais c’est un rêve ! Posséder un théâtre où l’on puisse être vraiment et totalement libre… Où l’on ne dépend de personne, ni de l’argent, ni des goûts du public… C’est l’obsession de ma vie, être libre, et c’est très compliqué dans cette société. J’ai commencé à faire du théâtre au lycée, et j’ai tout de suite compris à quel point personne ne vous attend. Tout est difficile dans ce métier, a fortiori quand on débute. Avec mon ami Eric Laborey nous avons transformé la troupe pour en faire un outil professionnel. Nous téléphonions aux directeurs de théâtre. J’expliquais que j’avais des projets extraordinaires, que j’étais d’ailleurs un type extraordinaire, que tout était extraordinaire, qu’il fallait absolument nous prendre – et on nous répondait : quelles vedettes avez-vous, quelle production avez-vous ? Nous n’avions ni vedette ni argent et donc c’était très difficile. Il fallait se prendre en main pour réaliser nos rêves. J’ai pris assez vite la direction du Théâtre 13, puis de la Crypte Sainte-Agnès. Quand je l’ai quittée, je cherchais un lieu et on a trouvé ce théâtre qui venait de fermer et qui avait été un music-hall (là où Piaf avait rencontré Cerdan), puis un cinéma, puis enfin un lieu très mode où l’on faisait de la musique. J’en ai fait un vrai théâtre dédié à l’incarnation. Et nous y sommes depuis 23 ans ! J’ai tout transformé, en ouvrant une deuxième salle, en agrandissant le plateau de la première, en faisant en sorte que les spectateurs puissent être tout proche de la scène. Tout cela se fait avec de grandes difficultés d’argent, mais aussi des rencontres extraordinaires, des interventions providentielles…

Ces spectateurs qui sont presque au contact avec les acteurs, c’est une des règles de votre théâtre de l’incarnation.

L’idée est très simple. À quoi sert le théâtre ? À montrer l’homme à l’homme. Nous passons notre vie à fuir l’Autre alors qu’au théâtre on paye sa place et on le regarde vivre et agir. Grâce au théâtre on est présent à l’Autre, à sa vie, à sa mort, à son entièreté. C’est comme un monde parallèle, un miroir du monde mais avec ses règles, ses limites (on ne peut pas tuer, par exemple !) mais c’est, tout de même, comme dans la vie. L’illusion, en effet, est parfois bien plus vraie que le réel. Pour preuve, un coup réellement porté par un comédien à son partenaire peut gêner le spectateur au point de détruire son adhésion. Au théâtre, on peut (et on doit) montrer tout de l’homme, jouer tous les sentiments… Péché, grâce, rédemption… L’homme ! Et sans autocensure, c’est important. Surtout à notre époque où le politiquement correct produit une bêtise redoutable.

Comment choisissez-vous les œuvres que vous montez ?

Il faut que dès l’écriture elles permettent l’incarnation. Et c’est dans ce sens que je les mets en scène et, quand ce sont des pièces étrangères, les retravaille, les adapte. Il faut que le spectateur soit en face d’un être humain complet. Je ne monterai jamais une intégrale Sarraute, ou Ionesco, par exemple : il ne montre pas des hommes, il réfléchit aux formes, au langage, c’est un théâtre d’idées.

Et pourquoi monter des intégrales, Corneille, Claudel, Montherlant, Racine…?

Et Tchekhov ! … qui est le summum de l’incarnation. S’il peint la société russe, tout passe par l’homme éternel, par la condition humaine et non par les idées, comme le feront plus tard les marxistes. Tchekhov est allé enquêter au bagne de Sakhaline et ce qu’il en a écrit vaut bien Dostoïevski. Il était ami avec Gorki mais il ne serait jamais, en aucun cas, devenu communiste. Au Nord-Ouest, en ce moment, on sent ça très bien puisqu’on présente toute son œuvre. D’autre part, ses œuvres se répondent, ce qui est l’autre intérêt des intégrales, un intérêt littéraire. On voit très bien comment telle pièce un peu faible a permis d’accoucher un chef-d’œuvre : L’Homme des bois, par exemple, un peu brouillon, est la première version d’Oncle Vania, chef-d’œuvre absolu.

Et pourquoi Tchekhov, alors ?

Ça part toujours du désir du chef ! Au Nord-Ouest, je suis le “tyran juste”. J’ai ainsi voulu monter l’intégrale Strindberg, qui est un monument mais qui allait évidemment être une catastrophe financière. Lors d’un redressement judiciaire, le juge m’a demandé comment j’expliquais que les recettes aient brusquement chuté. Je lui ai répondu que nous étions passés d’une intégrale Molière à une intégrale Strindberg. Qui ça ? m’a demandé le juge. Voilà ! lui ai-je répondu. Même chose avec Ibsen, et le déficit s’est encore creusé. Mais je pensais que c’était mon devoir. Tchekhov, c’était une promesse faite à une amie, remarquable actrice, de reprendre avec elle Oncle Vania. Mais aussi parce que je n’avais jamais monté La Mouette, que j’appréciais moins que La Cerisaie. Mais en la relisant, en l’adaptant, j’ai redécouvert une pièce extraordinaire. Je parlais de liberté, au début de l’entretien : pour La Mouette, j’ai cette liberté de faire jouer les trois premiers actes dans la grande salle et le dernier dans la petite. Un luxe impossible dans aucun théâtre à Paris. Pour revenir à l’adaptatio  : adapter, c’est sans doute trahir mais c’est aussi mieux permettre encore l’incarnation des personnages. Après avoir écrit 80 pièces, et en avoir mis en scène plus de 120, je crois avoir une connaissance réelle du théâtre “en bouche”. Je suis en train, par exemple, de travailler sur Othello et aucune traduction ne me satisfaisait vraiment, car les traducteurs essayent plutôt de courir après la poésie du texte. Moi j’ai besoin d’un texte théâtral, incarné. J’ai donc sans doute, sûrement, trahi Tchekhov et Ibsen et Shakespeare, mais peu importe. Le théâtre, c’est toujours un ici et un maintenant, l’après c’est une autre histoire !

Vous jouez dans votre pièce, L’Enfer, et vous venez de publier Pour en finir avec la mort, aux éditions Atlantes. On sent que votre souci premier est de faire comprendre la théologie – et de défendre la thèse d’un enfer peu à peu vidé de ses damnés.

S’il n’y a pas de vie future, il n’y a pas de sens à la vie que nous menons. L’incarnation prend tout son sens dans la rédemption. Et s’il n’y a pas d’enfer, il n’y a pas de liberté pour l’homme. Mais cela pose de manière très forte le problème de l’amour de Dieu : comment accepterait-Il une éternité de souffrance en parallèle à une éternité de bonheur ? Il y a là une grande violence. Quand j’avais monté Le Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc, on m’avait reproché (et surtout à Péguy) que Jeanne veuille sauver les damnés ! Mais on peut imaginer un enfer vide, ou vidé au fur et à mesure de ses damnés, par l’amour du Christ, comme un purgatoire. Mais l’idée force de ce livre, c’est que j’ai toujours pensé que l’on peut mourir d’un instant à l’autre, et donc qu’il faut agir tout de suite sur cette terre, dans le temps qui nous est imparti, ne pas gâcher ses talents. La mort nous aide à le comprendre, et surtout à comprendre qu’il ne faut pas mourir de l’intérieur : je pourrais transformer le Théâtre du Nord-Ouest en machine à one-man-show, le rentabiliser avec des spectacles indignes, mais à quoi bon ? Les hommes, les pays, les civilisations peuvent et vont mourir et donc il faut vivre pleinement, et ne pas commencer à vingt ans, comme je l’ai vu, à compter ses points de retraite… Même les utopies les plus ridicules valent mieux que ces pathétiques manifestations d’étudiants pour préserver leurs retraites. La mort sert de révélateur. Mais notre société la fuit, avec son obsession de la sécurité qui tourne à la privation de libertés.

Propos recueillis par Hilaire de Crémiers et Richard de Seze

 

N’hésitez pas à soutenir Jean-Luc Jeener et le Théâtre du Nord-Ouest.

Théâtre du Nord-Ouest, 13, rue du Fbg Montmartre, 75009 Paris.

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