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Recherche scientifique et éthique : y aurait-il incompatibilité ?

Le respect de la vie humaine, fondement de l’éthique, n’est pas toujours respecté par les chercheurs. Passion de chercher, intérêt personnel, formation déficiente et utilitarisme se conjuguent pour les transformer, à leurs yeux, en champions prométhéens qui ont le culte du résultat.

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Recherche scientifique et éthique : y aurait-il incompatibilité ?

En 2018 il y a eu plus de 18 000 rétractions d’articles scientifiques biomédicaux dans le monde, pour fraude, selon Retraction Watch (28 décembre 2018). Il y a donc un problème d’intégrité morale et de fraude dans ce monde scientifique, ce problème semble aller se développant. C’est du moins ce qui apparaît le plus nettement, à la surface des choses.

Plus grave cependant est le problème posé par ces scientifiques qui ignorent l’éthique de l’expérimentation sur l’homme et sur l’animal et conduisent leur recherche selon leurs plans et désirs, sans tenir compte de cette éthique. Or, de ce non-respect de l’éthique de l’expérimentation, seuls les cas les plus flagrants de mauvaise conduite font surface.

L’époque récente nous a donné un nouvel exemple, très éclairant, de la méconnaissance ou du mépris qu’ont certains scientifiques à l’égard de cette base de la bioéthique qu’est le respect de la vie humaine. On l’a très bien vu avec les développements qui ont succédé à l’introduction du système CRISPR/Cas9 dans l’arsenal de l’ingénierie génétique – que l’on préfère aujourd’hui qualifier du terme de « genome editing », « manipulations du génome ». La violation de l’éthique est devenue flagrante dans l’expérimentation réalisée par le Dr He Jiankui (département de biologie de l’Université des sciences et de la technologie du Sud à Shenzhen, Chine) et présentée au deuxième sommet international sur l’édition du génome humain à Hong Kong le 28 novembre 2018¹. He Juankui et ses collaborateurs ont en effet modifié le génome par CRISPR-Cas9 sur des embryons humains créés par fécondation in vitro, et ont implantés in utero deux de ces embryons, aboutissant à la naissance des « jumelles » Lulu et Nana, les deux premiers êtres humains à avoir été génétiquement modifiés dans leur lignée germinale, avec une modification ineffaçable qui sera transmise aux descendants. Les réactions à cette annonce furent fortes, nourries d’ailleurs davantage par le dépit et la jalousie que par l’indignation, ce qui fait que le moratoire sur les manipulations de génome humain sur l’embryon, proposé par certains, en est resté au stade du pieux désir.

On pourrait citer nombre d’autres exemples de ce non respect de l’éthique fondamentale de la part de certains chercheurs en biomédecine. La tendance prévalente chez ces chercheurs est de considérer l’éthique biomédicale non comme un enseignement de sagesse pratique qui a pour objet d’éviter toutes les tentatives expérimentales contraires au bien de l’homme et de la société mais comme une barrière, un frein, une gène qui va contre le principe de la liberté dans la recherche. Les réactions épidermiques de certains chercheurs français à tout ce qu’ils ressentent comme une possible menace sur la liberté d’expérimenter sur l’embryon humain sont typiques de cette mentalité.

Intérêt et ignorance

Pourquoi une telle défiance de l’éthique chez certains de ces chercheurs, au demeurant excellents dans leur spécialité ? L’analyse montre chez eux trois niveaux de motivations :

  1. Un premier degré, personnel, lié à l’intérêt que le chercheur porte à sa propre recherche, et à son attachement à la « liberté de la recherche » ;
  2. Un second degré qui tient à la formation incomplète de ces chercheurs sur le plan philosophique et anthropologique qui leur donne l’illusion d’être non seulement compétents dans ces domaines qu’ils ignorent, mais aussi des phares pour éclairer l’humanité qui se traîne encore dans des restes d’obscurantisme religieux ;
  3. Un troisième degré, plus général, partagé, lié à l’influence qu’a la perspective utilitariste dans les esprits de ces chercheurs, aboutit à la fameuse doctrine de « la fin qui justifie les moyens ».

Qui a fréquenté des laboratoires de recherche ou participé à des recherches, au moins dans le domaine biomédical, sait que la première qualité d’un chercheur est d’être un passionné, ce qui l’amène à une vie souvent plus qu’ascétique pour le bien de sa recherche, vie que personne d’autre n’accepterait, dans les mêmes conditions. Il y a une certaine addiction du chercheur à sa recherche, qui fait qu’il y consacre tout son temps, y dirige tous ses désirs, et est capable de tous les sacrifices pour elle. S’il n’avait pas cette ardeur, au moins au début, le chercheur en question aurait un esprit de fonctionnaire, tout juste capable de répéter les travaux que d’autres ont faits avec lui. L’enthousiasme est nécessaire. Dans ces conditions d’ardeur profonde, de don de soi, et d’addiction, le sujet de recherche sur lequel travaille ce chercheur devient son centre de vie, et absorbe tous les autres intérêts. Du coup le chercheur en question tend à devenir parfaitement intolérant à toute tentative de contrôler son travail au nom de principes éthiques – dont il ne comprend d’ailleurs ni l’intérêt ni la valeur. De plus, cet état d’esprit du chercheur, initialement assez gratuit et stimulé par le seul intérêt de la recherche qui vient donner un but à sa vie, se renforce assez vite d’autres considérations très concrètes. Il y a compétition entre les chercheurs et il faut assurer son propre avenir en produisant de bonnes et abondantes publications, dans des journaux renommés. L’impératif du « publier ou mourir » finit par prendre aussi une place importante dans les préoccupations de ce chercheur, l’amenant éventuellement à la tentation de falsifier certains de ses résultats ou d’en créer. Ainsi se combinent, chez notre chercheur, deux tendances qui l’amènent à considérer l’éthique comme une menace, un frein, un obstacle : une tendance prométhéenne qui l’amène à justifier tout dépassement de l’éthique au nom du bien de sa recherche, en s’appuyant sur le bien humain actuel ou futur qui en découlera ; et une tendance d’intérêt personnel visant à s’assurer une place, un renom et un salaire adéquat dans le monde très compétitif de la recherche. Les années aidant, cet état d’esprit conquérant et assez généreux tend à s’apaiser, surtout dans les sociétés où des organismes gouvernementaux sont là pour assurer des carrières tranquilles. Mais le mépris ou la relativisation de l’éthique, devenu une habitude, persiste, ce qui permet de comprendre pourquoi certains scientifiques continuent à frauder, à plagier, ou à fabriquer des résultats alors même qu’ils sont parvenus à des positions qui leur assurent un avenir.

Publier ou mourir

Le second degré dans les motivations ou limites qui peuvent expliquer un certain mépris de l’éthique par des scientifiques tient malheureusement à leur mode de formation, produit de notre société technique, performante, et sans valeurs. L’éducation traditionnelle donnée dans les lycées ou les collèges assurait un minimum de familiarité de l’étudiant avec les « humanités », enrichissant son esprit, sa culture, ses facultés de discernement. Ce type de formation est estimé à l’heure actuelle comme inutile, une perte de temps, tandis que la formation aux « sciences exactes » apparaît capitale. Il en résulte une production de jeunes étudiants très compétents dans certains domaines scientifiques ou techniques, mais n’ayant aucune ouverture d’esprit à la discussion philosophique, aux valeurs, à l’éthique, à l’anthropologie. Or ces futurs chercheurs sortent de ces années de formation avec la certitude de tout connaître, et la tendance à réduire les problèmes de la société à des calculs de coût/bénéfice. Ceci est très vrai dans le domaine biomédical où l’éthique est très souvent traitée au niveau des seules sensibilités individuelles, sans capacité d’un réel discernement. Le spécialiste des cellules-souches croira ainsi fermement que ce qu’il dit de ces cellules, de leur mode de prélèvement, de leur utilisation est parole d’or, oracle, qui ne peut tolérer aucune contestation. Plutôt que de devoir respecter un embryon humain, il préférera le déclarer simple élément organique de laboratoire. Et il considérera cette qualification comme définitive.

La fin justifie les moyens

Le troisième degré dans les motivations ou limites qui conditionnent aujourd’hui la vision des questions éthiques par nombre de chercheurs tient à l’emprise que la tradition utilitariste (Jeremy Bentham, John Stuart Mill) jointe à la tradition du droit positif (Thomas Hobbes et John Locke) a prise dans notre société. Le message de cette tradition est simple : la fin justifie les moyens, et s’il y a des risques à assumer ou des effets négatifs à supporter, il s’agit là de « maux mineurs » qu’il faut accepter au nom de l’avenir. L’association des deux est devenu le mode de penser courant, la philosophie commune, la koinè non discutée, et tout appel à des « valeurs » ne peut susciter chez nombre de chercheurs que scepticisme, haussements d’épaules ou dérision devant ces restes d’obscurantisme. Seule la recherche a de la valeur, elle seule est le phare de l’humanité. Seul compte le résultat pour le plus grand bien du plus grand nombre, avalisé par le consensus au niveau des lois, des institutions ou des « communautés scientifiques ». Ce mode de penser était très présent chez tous les scientifiques qui ont avancé au cours du XXe siècle, inspirés en particulier par le message de l’eugénisme (Hermann Joseph Muller, Julian Huxley, J.B.S. Haldane, Joshua Lederberg, Joseph Fletcher), et continue d’être partagé par les scientifiques qui poursuivent cette tradition eugénique aujourd’hui, avec d’autres mots et d’autres moyens techniques, mais sans grand changement sur le fond. C’est cette tradition qui conduit au « Brave New World » de Huxley, aux campagnes péruviennes de stérilisation chez les populations des hauts plateaux, aux propositions d’« homme augmenté » et à la tentation du rationnement des soins pour les personnes âgées. Cet arrière-fond scientiste fait croire que tout peut être résolu par la technologie et qu’à l’inverse seule la technologie est à même de résoudre les problèmes de l’humanité. C’est malheureusement ce mode de penser qui explique comment l’intelligentsia scientifique allemande a accueilli avec une grande faveur les programmes du IIIe Reich. Quand on prend connaissance de certaines déclarations contemporaines de scientifiques de renom, on éprouve l’impression glaçante que leur mode de raisonnement n’est pas très éloigné de celui des scientifiques qui collaborèrent, sans restriction aucune, aux programmes du IIIe Reich. À cet utilitarisme contemporain s’associe de plus un « prophétisme » prisé par les scientifiques, qui se voient guidant l’humanité vers un plus grand bien être, grâce à la technique et à la connaissance. Ce « prophétisme » inspire nombre de scientifiques aujourd’hui, tels que ceux qui voient dans l’édition du génome le moyen de relancer l’évolution et d’arriver à une humanité améliorée. (George Church par exemple)². Ces scientifiques reçoivent, dans leur projet, un fort support de la part des bioéthiciens utilitaristes (John Harris3, J. Savulescu4) qui prônent l’obligation, pour les futurs parents, d’avoir « les meilleurs enfants » grâce au recours exclusif au diagnostic préimplantatoire.

En conclusion, tous les scientifiques ne sont certes pas insensibles ou indifférents à l’éthique, et tous ne la considèrent pas comme un injuste frein à leurs projets ou à l’avenir de l’humanité. Mais la hausse dans le nombre des fraudes découvertes chaque année dans les publications scientifiques est inquiétante car elle prouve que le « ver est dans le fruit » et que les scientifiques ont tendance à considérer les règles éthiques comme rétrogrades, des empêcheuses, fruit du travail de moralistes ou de législateurs peu au courant des réalités et des promesses des sciences et des techniques. En fait, aucun scientifique n’est dénué d’un sens éthique, tant s’en faut, mais ce sens est très souvent limité à quelques points d’intérêt, dans une vision très partielle des réalités, tout le reste pouvant se justifier. Le remède à cette situation n’est pas évident, les scientifiques estimant souvent qu’ils détiennent la vérité, même dans des domaines où ils n’ont aucune compétence particulière comme la philosophie, l’anthropologie, l’éthique fondamentale. C’est pourquoi des commissions d’éthique faites de personnes compétentes, non assujetties aux gouvernements ou à la pensée commune, doivent être mises sur pied pour évaluer les questions éthiques, au moins dans le domaine biomédical, jusqu’au jour où une formation préalable aux humanités viendra enrichir l’esprit des futurs scientifiques pour leur permettre de dialoguer avec discernement, prudence et sagesse.

Par le Dr Jacques Suaudeau, directeur scientifique du Centre de bioéthique Jérôme Lejeune

 

  1. Normile D, Shock greets claims of CRISPR-edited babies. Apparent germline engineering by Chinese researcher prompts outrage and investigations, Science, 30 November 2018, vol.362, n°6418, pp.978-979.
  2. Regalado A, Engineering the Perfect Baby, MIT Technology Review, 5 March 2015
  3. Harris John, “Enhancements Are a Moral Obligation”, in Savulescu J, Bostrom Neds, Human Enhancement, Oxford, Oxfords University Press, 2009, pp.131-155.
  4. Savulescu J, Procreative beneficence and in vitro gametogenesis, Monash Bioethics Review, September 2012, vol.30, n°2, pp.29-48.

 

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